Un champ de roses blanches immobiles s'étend à l'infini. Nul autre repère que cette mer figée dans sa perfection. Nul bruit, ni le chant des oiseaux, ni le bruissement des feuilles dans le vent. Le silence, et une étrange sérénité, un bien-être.
Tout est Parfait, pas de mouvements… La perfection n'a pas besoin de mouvement pour exister. Elle Est, de toute éternité. Elle Fut, elle Est, elle Sera. Pourquoi bouger ? Tout ce qui risque de troubler cet ordre est dangereux, et inutile. Subversif.
Chaque rose est identique à sa voisine dans son attitude muette. Ce blanc… La plus pure des neiges, sur le plus haut des sommets, les cheveux mêmes de Sagarmantha n'en sont qu'un lointain et fugitif souvenir. Elles attendent, roses narcisses. Mais qu'attendent-elles ? Rien. Elles Sont, et cela suffit à les justifier dans leur perfection commune.
La terre n'a aucune couleur, elle est toutes les couleurs, elle n'a aucune aspérité, elle est toutes les aspérités, elle Est, parfaite.
Nul ruisseau ne coule ici, sa mouvance serait un sacrilège. Des lacs, d'une eau sans rides, d'une eau de cristal, ponctuent la mer immobile de roses blanches.
Une main se penche. Quoi ! Hérésie ! Qui ose troubler l'immobile perfection ? Un mouvement, ici, une Action ? Les roses restent coites, on n'a pas besoin de communiquer lorsqu'on est parfaite.
Cette main est blanche mais belle. On sent le sang pulser à travers la fine peau. Ces doigts sont fins, ils bougent avec grâce, et Harmonie. Dans une agilité furtive la main se penche pour saisir la tige d'une rose blanche.
Le doigt se rapproche doucement d'une épine, de la seule épine de la seule rose blanche qui en possède une dans tout le champ. Pourquoi une telle épine ? Pourquoi a-t-on besoin d'une épine dans un monde parfait ? Une erreur, infime, dans cette perfection. Nous ne l'avions pas remarqué. Les autres roses non plus. Eh, nul besoin de communiquer, quand on est parfaite, que l'on sait tout sur tout. Sauf que cette rose là avait un défaut, et qu'elle ne pouvait pas le partager avec ses sœurs.
Il se rapproche inexorablement, jusqu'à la toucher. Une goutte de sang perle de ce doigt si pur, dans un champ parfait, hors du Temps, hors de l'Espace. Vermeil sur neige. De blanches, les pétales se teintent de cette nouvelle couleur, souillant cet océan immaculé. La marée s'étend inexorablement, de fleurs en fleurs. Rien ne peut l'endiguer, rien ne peu la vaincre. Les roses blanches encore épargnées s'agitent, chuchotent. Avaient-elles déjà chuchoté ? Jamais.
Le champ est transmuté, de roses d'un rouge incandescent, flamboyantes. Mais, que se passe-t-il ? De petites vagues se forment sur le miroir déformé des lacs, des ruisseaux naissent d'une terre aux formes nouvelles. Ces eaux courent et chantent, d'un son clair, déchirant le voile de serein silence qui veillait jusqu'alors sur ce monde.
Le vent, le vent se lève pour la première fois. Tantôt il caresse doucement les fins pétales rouges, leur murmure des mots doux, tantôt il les rabroue avec force et impétuosité. Les roses s'agitent, ploient, se redressent, se couchent.
Dans le ciel, à l'horizon, on distingue tout à coup d'étranges formes noires. Qu'est-ce, se demandent les roses, enivrées de mille et mille sensations nouvelles. Les formes se rapprochent, portées par l'éther : des oiseaux !
Ils survolent le champ, dans une valse gracieuse. Qu'un mouvement peut être beau. Aussi beau que l'immobilité parfaite d'autrefois. Plus beau même, peut être. Ils chantent, ténors d'un opéra mystique, dont le sens nous échappe. Quelle musique Harmonieuse. Plus harmonieuse, peut-être, que le serein silence d'antan.
Des heures, des jours, des semaines ont passé. Les roses ont découvert l'aventure du monde. Elles ont parlé avec leurs voisines, anciennes compagnes muettes de cristal, ont joué avec le seigneur Zéphyr, ont goûté l'eau fraîche des torrents. Elles sont heureuses. Le bonheur, quel mot étrange. Il n'existait pas autrefois, quand tout était parfait.
Mais voici qu'un pétale tombe, de rouille sang. Et puis deux, trois. Toute la plaine se recouvre d'un fin linceul. L'été, le premier été va bientôt succomber aux frimas précoces de l'Automne. Les roses pleurent, elles sont amères. Le Mouvement de la Vie est si beau, si harmonieux dans son déséquilibre apparent. Pourquoi doit-il prendre fin ?
La Vie est une Roue qui tourne sur son axe, et le Temps en est le moteur. Aux glaces de l'Hiver succèdera le soleil du Printemps, pour un évanescent moment d'Eternité.
..............,.,°°,.,...................texte trouvé au fil du net....auteur inconnu......,.,°°,.,.........et si c'était vous.
Phildream